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Les femmes et la Commune

On sait le rôle prépondérant que jouèrent les femmes le 18 mars 1871,

sur la butte Montmartre, en tenant tête aux troupes de Thiers venues s’emparer des canons achetés par souscription populaire. Parmi elles, Louise Michel, dont on commémore cette année le centenaire du décès. Et c’est à elle que la plupart pensent, à juste titre, lorsque l’on évoque le rôle des femmes dans la Commune. Toutes n’ont pas connu le rayonnement de cette femme d’exception, mais d’autres eurent un rôle plus discret quoique important dans la défense de la Commune, dans les avancées sociales pour lesquelles elle se battit et dans la voie vers l’émancipation féminine. Ainsi, Nathalie Le Mel, ouvrière relieuse bretonne, et Élisabeth Dmitrieff, jeune aristocrate russe, qui créent l’Union des femmes pour la défense

de Paris et les soins aux blessés, le 11 avril 1871. Dans une France encore sous l’influence des thèses sexistes de Proudhon, l’association revendique l’égalité des sexes (« toute inégalité et tout antagonisme entre les sexes constituent une des bases du pouvoir des classes gouvernantes », écrit-elle) : égalité des salaires, droit au divorce pour les femmes, droit à l’instruction laïque et à la formation professionnelle pour les filles. Les femmes de l’Union revendiquent en outre la suppression d’une distinction entre femmes mariées et concubines, entre enfants légitimes et naturels, réclament l’abolition de la prostitution, considérée comme une forme d’exploitation commerciale de créatures humaines par d’autres créatures humaines, et obtiennent la fermeture des maisons de tolérance. Elles demandent le droit de participer à plusieurs commissions municipales créées dans les arrondissements, celui d’organiser des ateliers coopératifs. La lutte pour leur émancipation s’inscrit dans celle de la classe ouvrière. Aussi écrivent-elles : « Nous voulons le travail pour en garder le produit, plus d’exploiteurs, plus de maî- – tres. » Et elles s’engagent dans la défense de la Commune. Les hommes n’étaient pas tous prêts à leur laisser une place dans cette épopée, aussi fallut-il vaincre leurs réticences à laisser des femmes prendre part aux ambulances, jusqu’alors réservées aux hommes. Elles y parvinrent, y compris aux postes avancés des combats.

Il y eut celles qui risquèrent leur vie pour la défense de

la Commune. Il se trouve encore des ouvrages historiques et des articles

d’encyclopédie pour soutenir que les femmes ne se battirent pas pendant la semaine sanglante. Claudine Rey, auteur d’une brochure sur l’action des femmes pendant la Commune, a pourtant retrouvé trace d’écrits de l’époque qui affirment le contraire. Selon la journaliste André Léo, plusieurs milliers de femmes participent à la lutte sur les barricades ; Louise Michel parle de dix mille, mais il est difficile de vérifier ces chiffres. Certaines de ces femmes courageuses laissèrent leur nom : Louise Michel, bien sûr, mais aussi André Léo, Nathalie Le Mel, Victorine Rouchy, Marguerite Lachaise, Eulalie Papavoine, Madame David, Marguerite

Diblanc, Élisabeth Retiffe, Léontine Sueten, Joséphine Marchais, Adèle Chignon.

Et puis il y a les anonymes. Les oubliées. Celles qui tombèrent sous les balles des Versaillais et celles qui furent dénoncées et arrêtées. Plus d’un millier de femmes passèrent en jugement, dont la plupart furent condamnées, selon l’enquête parlementaire sur l’in- – surrection du 18 mars. Les charges qui pesaient contre elles ? Leur participation à la Commune, bien sûr, mais aussi le vol, la prostitution. Céleste Hardouin serait de celles-là si son arrière-arrière-petite-fille, Catherine Thomas, n’avait retrouvé à la Bibliothèque nationale le récit qu’elle publia à compte d’auteur en 1879 et qui tomba dans l’oubli. Les Amis de la Commune de Paris 1871 rééditent aujourd’hui la Détenue de Versailles (1) qui nous livre un témoignage rare sur les conditions de détention des Communardes dans les prisons versaillaises. Céleste Hardouin est-elle représentative des anonymes de la Commune ? Probablement pas, d’abord parce qu’elle n’a pas pris une part active à la Commune, ensuite parce qu’elle était institutrice alors que les Communardes furent essentiellement des ouvrières. Elle porte pourtant un regard lucide sur la condition féminine et partage certaines revendications de la Commune. Elle vilipende en particulier l’éducation religieuse (« Martyrs de l’éducation sénile, anti-cordiale et par cela même anti-sociale donnée à la jeunesse dans ces instituts dits religieux, il faut plaindre ces pauvres êtres repliés sur eux et desséchant de mépris pour l’humanité », écrit-elle) et prône une école laïque. Mais elle nous livre surtout une description précise de ce qui se passait derrière les murs des prisons versaillaises, alors que nous possédions jusqu’à présent peu d’éléments à ce sujet. Dénoncée anonymement, elle est arrêtée le 7 juillet 1871 et libérée le 17 octobre de la même année, après son acquittement par le 4e Conseil de guerre. Les seules charges qui seront finalement retenues contre elle seront d’avoir assisté par deux fois aux réunions du Club de la Révolution sociale en l’église Saint-Michel des Batignolles. D’une plume vive, pleine d’humour, Céleste Hardouin décrit ses geôliers et ses compagnes d’infortune de la prison des Chantiers de Versailles, la principale prison de femmes, où 400 d’entre elles furent incarcérées dans l’attente de leur procès. C’est en prison qu’elle rencontre Louise Michel avec qui elle se lie d’amitié, amitié qui ne résistera pas aux initiatives, très mal accueillies par cette dernière, qu’elle prendra pour faire libérer la « Vierge rouge ».

Claude Ravant

(1) Vente par correspondance auprès

des Amis de la Commune de Paris 1871 (46, rue des Cinq-Diamants, 75013 Paris. 12 euros et frais d’envoi 1,45 euro)